dimanche 9 mars 2008

Keiichi Koike - Ultra Heaven

Dans un futur assez proche, assez réaliste, un futur fait comme notre présent de villes tentaculaires, de grandes barres d'habitation, de nourriture lyophilisé, de télévision mais surtout de défonce, le jeune Kab cherche la pompe ultime pour se défoncer. Ce monde est un gigantesque panard pour tous les junkies en puissance : l'usage de la drogue y est libre, imaginez. D'emblée, Keiichi Koike nous oblige à accepter cette légalisation des drogues comme une détente obligatoire, un passage obligé après le travail de la semaine, il s'évite ainsi les dizaines de pages consacrés à la description du monde anticipé. L'entrée dans ce manga se fait donc brutalement, Keiichi Koike explose litteralement de son talent graphique les représentations des trips de ses personnages. Il est capable de rendre compte de tout : de cet état moléculaire dans lequel la perception perd tout fondement, de ces passages de réalités ralenties, quand le défilement ne fonctionne plus, Koike dessine tout cela. Avec sa plume il sait tout faire, il éclate les corps et l'espace de perception dans toute la planche, déconstruisant méthodiquement les corps normalement unifiés. Il structure ainsi toute l'avancée de son récit dans la défonce de son personnage principal. Ca pourrait paraître de prime abord plutôt ambitieux mais force et de constater, et malgré la difficulté de l'entreprise, que l'auteur y parvient sans accroc, jonglant entre les différentes strates de réel, libérant les rêves de Kab au point que de réalité le lecteur n'est plus capable de déterminer.
Au début du second tome, l'auteur nous renvoit à Descartes et à son "cogito ergo sum" par le personnage d'un responsable de secte, un type que ses travaux guident vers les différents états de conscience du cerveau humain et qui parvient par la démonstration à prouver que la réalité est unique et n'appartient qu'à chaque individu, autrement dit que chaque individu fabrique sa propre réalité, et que cette dernière n'est divisible que sur un très faible dénominateur commun avec autrui. Descartes disait "je pense donc je suis", Koike réplique en disant "le réel n'existe que par mon rêve", ce qui est un peu la même chose, c'en est une version pop en quelque sorte. C'est évidemment là que ce manga trouve son originalité, dans ces différents degrés de lecture et alors même qu'il paraissait anodin et se perdait ligitimement dans la masse des sorties. Et pourtant il y a beaucoup du trait d'Otomo dans ce manga, il y a aussi de cette ironie grinçante propre à Taiyou Matsumoto et de la très grande facilité graphique de Moebius, trois références sans doute lourdes à porter mais qui accompagnent sans difficulté la lecture des deux tomes que compte cette histoire.

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