samedi 24 mai 2008

Don DeLillo - L'homme qui tombe

Voilà un livre compliqué à circonscrire, aussi imbécile que génial, aussi brutal qu'anodin. Des générations de critques littéraires pourraient me lapider pour une sentence comme celle-ci concernant leur chouchou parmi les chouchoux, l'écrivain américain que l'on se doit d'adorer. Alors effectivement, Don DeLillo est un romancier particulier, surtout redoutable : fin, précis, grand architecte du roman, à l'écriture toujours nette, parfois magnifique, un romancier qui sait complétement évoquer les petits instants, lorsque le temps T dure une éternité, lorsque la seconde se dilate et que l'oeil nous fait découvrir l'un après l'autre les dix milles points précis d'un paysage. Don DeLillo sait écrire, il est le grand écrivain contemporain avec Paul Auster pour Femmes actuelles et Bret Easton Ellis pour Télérama. Il n'empêche que parler du 11 septembre pour cet écrivain de la suspicion, du conflit mondial, aracchnéen, était irrémédiable : il devait fournir sa réalité au 11 septembre, abreuver de sa vision les visions étriquées du grand cirque critique littéraire.

Il y arrive. Don DeLillo parvient à chacun de ses bouquins à élaborer une intrigue fragmentée, assez complexe et qui dévoile au fil des pages sa singulière hétérogénéité. Keith est cet homme qu'on a tous remarqué sur nos écrans de télé, cet homme qui marche en chemisette blanche ensanglantée, derrière lui la tour en feu, une mallette dans la main. Il erre dans manhattan, à demi conscient de la réalité des choses qui l'entourent, et se rend chez sa femme, de laquelle il est séparé depuis quelques temps. Lianne et Keith vont se reconstruire autour des attentats, elle en sur-interprétant chaque signe et lui en vivant sur une brêche permanente, comme si le fluctuant ne pouvait qu'être, comme si les choses immobiles n'existaient plus pour lui. On croise peu de personnages dans ce roman, Lianne et sa mère, malade, son fils à elle et Keith, un petit paranoïaque de 8 ans, qui guette le ciel en compagnie de deux faux-jumeaux, et attendent Bill Lawton. Ben Laden. Voilà pour les personnages, cette Lianne véritablement insupportable, tellement choquée qu'on lui jetterait le livre à la figure, lorsqu'elle s'emporte sur son palier face à une femme qui passe une musique ni trop forte, ni suffisamment faible qu'on ne la remarque pas en passant. Elle attaque cette femme, jugeant indécent d'écouter maintenant cette musique orientale, quasi blasphématoire. L'Amérique, vous êtes avec elle ou contre elle.

Don DeLillo a parfaitement réussi ces instants là. Il s'est situé dans la vérité du moment, entre nos yeux et l'écran de télé, captant les messages codés que nos cerveaux ne manquaient d'envoyer à la Terre entière. C'est magnifique de vérité crue, glaciale comme ces temps l'étaient mais malheureusement, c'est aussi très affecté. Lorsque Lianne interprète tout, lorsqu'elle soigne des malades atteinds d'Alzheimer (qui pourrait oublier ça ?) le romancier accroche trop de fils à son intrigue. Il fallait penser au couple. La vérité était dans ce couple brisé, on aurait compris le rapprochement, inutile de nous coller des jumeaux, des inconscients, des blancs et des noirs, des oppositions franches. On aurait compris la subtilité de la situation. Au lieu de ça Don DeLillo s'égare à nous gâver et encore et encore de ce pathos un peu lourd, comme si les images que l'on avait tous vues devaient encore et encore nous être expliquées et décortiquées. (Pourquoi nous infliger Mohamed Atta ?)

Cet Homme qui tombe est un artiste de rue qui se pend à des endroits stratégiques, il évoque cet homme qui s'est jetté au delà de l'horreur.


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